isabelle Huynh

Éveiller les consciences. Voilà la mission que s’est donnée Isabelle Huynh, diplômée en Génie Mécanique 2014 de l’INSA Lyon. Après deux ans en tant qu’ingénieure produit dans une entreprise, la jeune femme part en quête de sens pour répondre à la question suivante : « Comment utiliser mes compétences à des fins justes en alignant mon métier avec mes convictions intimes ? ». Après six mois de voyage autour du monde à découvrir « des solutions techniques qui améliorent la vie des personnes », elle créé l’association « La Clavette » et s’applique à diffuser le concept d’ingénierie positive. Portrait.

De l’amour de l’objet

« Déjà très jeune, j’étais attirée par le métier d’ingénieur et le pouvoir de création qui lui est lié. Être ingénieur c’est d’abord imaginer toutes les solutions possibles pour pouvoir construire son objet. Je trouve le côté technique de la conception fascinant et beau : je peux rester des heures devant une pièce mécanique sans m’en lasser. Et l’objet n’est pas nécessairement hautement technologique. Une lampe faite à partir d’une bouteille de plastique et d’une petite LED, c’est génial et très ingénieux ! »

Puis, le doute s’installe

« Je travaillais pour une entreprise de fabrication de machines à café en capsules, soit une des innovations les moins écolos de ces dernières années. À la pause déjeuner, je me faisais remarquer si je mangeais une tomate en plein mois de décembre ou si mon Tupperware n’était pas en verre, et le paradoxe s’est révélé : comment pouvions-nous, ingénieurs, être si incohérents entre nos valeurs personnelles et l’exercice de notre métier ? 

Et puis le projet « implémenter le Bluetooth pour pouvoir lancer son café depuis son lit » a été la goutte de trop pour moi : si c’est ce qu’on entendait par innovation, ça serait sans moi. J’ai démissionné quelques mois après cette prise de conscience. »

User de sa matière grise à bon escient

« En tant qu’ingénieur et en tant que citoyen, notre intelligence a une certaine valeur. La première question à se poser est : à quoi veux-je la dédier ? À créer des objets inutiles ? Ou concevoir des produits qui améliorent réellement la vie des personnes de façon durable et bienveillante ? Dans la plupart des industries, la vision est encore très concentrée sur l’économique et on ne prend que très rarement en compte l’impact sur la société. Je travaillais sur des produits de grande consommation où le marketing nous dictait le cahier des charges et nous n’avions que peu de marge de manœuvre. Aujourd’hui, les ingénieurs sont un peu plus sollicités sur des points décisionnels stratégiques mais ça n’est pas toujours le cas. Et il était hors de question pour moi de continuer à dire : ‘je n’ai pas le choix’. »

L’ingénierie positive : de la quête personnelle à l’impact social

« Je savais que mes collègues n’étaient pas des cas isolés de professionnels dont le métier n’est pas en accord avec leurs idées personnelles. Cependant, il n’y avait pas de réponse si on se demandait comment mêler technique et impact social. Alors pour partager et diffuser les réflexions de ma quête de sens, j’ai créé « La Clavette ». Son nom fait écho à une pièce qui a pour fonction de lier en rotation deux éléments mécaniques. Et la métaphore est la suivante : ce qui m’intéresse, c’est être à la jonction, faire le lien entre le monde technique et la société pour aider les projets qui ont du mal à embrayer. Je ne cherche pas à convaincre, mais surtout à montrer des « innovations frugales2 » et faire grandir une nouvelle approche en s’inspirant de l’ingéniosité des pays émergents. Alors que je me trouve en Équateur, j’ai besoin de passer à un autre niveau en termes d’impact. Je décide à mon retour en France de contacter les entreprises et les écoles. »

Sensibiliser, former, accélérer le changement

 « L’association intervient auprès des écoles d’ingénieurs à travers des cours, des évènements où les étudiants travaillent sur des projets concrets et en faisant du lien avec des entrepreneurs sociaux. Elle s’emploie à trois missions : faire grandir l’esprit critique chez les élèves-ingénieurs, entretenir la capacité à se projeter dans le futur et développer une vision systémique du métier. Auprès des entreprises, il s’agit plus d’inspirer, de former et de faire comprendre qu’il n’y a pas que des hippies dans le monde de l’ingénierie sociale et solidaire ! L’ingénierie positive doit s’intégrer dans les stratégies d’entreprise et il faut d’ailleurs faire preuve d’ingéniosité pour combiner rentabilité et impact. C’est là que tout se joue. »

Son leitmotiv : mettre ses compétences au service de sa ligne idéologique

« Le métier d’ingénieur ouvre beaucoup de portes et c’est à nous de choisir celles que nous voulons ouvrir. Il y a énormément de liberté inhérente au métier, mais il y a aussi beaucoup de responsabilités. Garder un œil critique sur les choses, ne jamais être en déni sur le futur et rester conscient des impacts de nos travaux pour répondre à des enjeux de durabilité plutôt qu’au court terme relève du devoir. »