Marie-Hélène Therre

Les filles n’ont pas leur place ici”. Entendue au début de sa carrière professionnelle, cette remarque a été sans nulle doute un terreau fertile pour faire germer l’engagement et le militantisme de Marie-Hélène Therre. Ingénieure diplômée de l’INSA Strasbourg en 1981, à l’époque où l’école s’appelait encore l’ENSAIS, elle a consacré une grande partie de sa carrière à promouvoir l’égalité femme-homme dans les entreprises. “À l’époque, il était encore impensable de parler d’égalité de genre, souligne l’ingénieure. Force est de constater qu’en France, la situation a évolué positivement, même s’il reste encore beaucoup à faire”.

Enfant, elle grandit à Nice auprès de parents médecins. Cette discipline ne l’intéresse pas. Elle rêve plutôt d’arts et de techniques, nourrie par les dessins et schémas de Léonard de Vinci. Après un premier baccalauréat en Sciences et Vie de la Terre, elle se fait retoquer aux portes des classes préparatoires scientifiques. “Le proviseur m’a dit que je n’avais pas le bon bac pour intégrer la filière”. Qu’à cela ne tienne, elle repasse son bac, option maths-physique cette fois-ci. Nouvelle présentation à l’entrée en prépa. Nouveau refus. Mais cette fois-ci, le message est plus clair : “le lycée ne voulait pas de filles dans cette section”. Première ondée sur le terreau.

Passionnée d’architecture, elle décide alors de rejoindre l’ENSAIS, seule école d’ingénieur & d’architecte, qui vient juste d’ouvrir un cursus post-bac. Elle intègre la prépa intégrée en 1976 et au bout de deux ans, tente de rejoindre la filière architecture. “Ce fut un échec”, sourit-elle. Elle rejoint alors la section topographie avec trois autres étudiantes. Elle en sort diplômée en 1981 et commence à chercher son premier emploi. “J’ai mis six mois à trouver un poste. Après plusieurs entretiens infructueux, les recruteurs des cabinets de géomètres ont fini par me dire très clairement que les femmes n’étaient pas les bienvenues dans le milieu.” Nouvelle ondée sur le terreau.

De la topographie à l’informatique


Lasse, Marie-Hélène Therre se rend à l’APEC (Agence pour l’emploi des cadres). “L’informatique est-il un domaine qui vous plaît ?”, lui demande son conseiller. Le secteur est alors en plein développement, il a besoin de bras, qu’importe le genre. Marie-Hélène, qui passe ses week-ends à programmer en Fortran à l’époque dans les locaux du CNRS saisit la balle au bond et décroche son premier emploi. Elle entame ainsi une carrière de plus de vingt ans dans le secteur.

Au fil des années et des décennies, elle évolue dans différentes sociétés, en France et à l’international. Elle se forme sur son temps libre, apprend les nouveaux langages, monte en compétence sur l’accompagnement au changement. En 2002, lorsqu’un plan de licenciement touche son entreprise, SGI (Silicon Graphics Inc.), elle décide de consacrer du temps à la défense des droits des femmes. Elle intègre l’association Femmes Ingénieures, qui œuvre pour la promotion de la place des femmes ingénieures et scientifiques dans le monde du travail et dans la société et auprès des jeunes.

J’avais du temps, je suis donc partie à la rencontre de professionnelles pour leur demander de me parler de leur métier et de leurs conditions de travail. J’ai été abasourdie par leurs propos. Toutes vivaient des situations complexes, dues à leur genre. L’effet miroir a été immédiat. Je me suis dit : ‘mais moi aussi, il m’est arrivé plein de mésaventures’” ! Le germe de l’engagement et du militantisme a poussé : Marie-Hélène prend des responsabilités au sein de Femmes Ingénieures, en devient présidente de 2006 à 2012 et représente l’association IESF (Ingénieurs & Scientifiques de France) à l’international. Elle crée la commission Women in Engineering au sein de la FMOI (Fédération Mondiale des Organisations d'Ingénieurs). “Je me suis investie à fond”.

L’engagement chevillé au corps


Parallèlement à son engagement associatif, Marie-Hélène Therre crée sa société, Inclusive Innovation by Therre Consultance. Ses missions ? Accompagner les entreprises pour une meilleure prise en considération des questions d’égalité femme-homme et débusquer l’androcentrisme. Elle réalise différentes missions en France, au Maroc principalement pour la Commission Européenne.

Elle rejoint également une équipe internationale de recherche, menée par Londa Schiebinger, enseignante-chercheuse à l’université de Stanford, aux États-Unis. L’équipe, qui réunit des chercheurs et des ingénieurs, réfléchit à la façon d’intégrer les questions de sexe et de genre dans les projets de recherche. “Le premier exemple que nous citions était celui de la conception de la ceinture de sécurité dans les voitures. Inventée par des hommes, elle n’a pas pris en compte la morphologie féminine”, illustre l’ingénieure. Le groupe existe toujours. Il réunit aujourd’hui plus de 150 contributeurs, fédérés autour du programme Gendered Innovations.

Au-delà du genre, nous avons beaucoup travaillé la question de l’intersectionnalité, détaille Marie-Hélène Therre. L’individu, défini par un genre, l’est aussi par d’autres spécificités : handicap, origine ethnique, culture nationale, etc. Tous ces éléments sont à prendre en compte au sein des entreprises”.

Elle travaille entre autres avec le groupe Artelia, pour qui elle organise des ateliers qu’on appellerait aujourd’hui “ateliers de leadership féminin”, pour aider les salariées à évoluer au sein de l’entreprise, et à considérer la dimension femme-homme dans les projets.

“Moins vindicative mais toujours engagée !”


Marie-Hélène est aujourd’hui une jeune retraitée. Si elle a cessé son activité professionnelle, elle continue de se mobiliser pour la cause féminine. “Je suis moins vindicative, sourit-elle, mais toujours engagée”. Elle reste présidente honoraire de Femmes Ingénieurs. Elle est depuis peu marraine d’une jeune lycéenne boursière, dans le cadre d’un programme de la Fondation de la Légion d’honneur Un Avenir Ensemble. Elle va l’accompagner jusqu’à l’entrée dans la vie active, la guider et l’épauler.

Quand on lui demande d’où vient cette envie de porter la cause des femmes ingénieures, Marie-Hélène Therre se fait pudique. “C’est une histoire de rencontres, dit-elle, en se remémorant tous les freins qu’elle a elle-même rencontrés en début de carrière. En France, la place des femmes ingénieures a évolué positivement c’est incontestable. Mais il reste encore beaucoup à faire. La cause aura avancé lorsque la dimension femme-homme sera naturellement intégrée dans tous les projets d’entreprises, et rares sont les entreprises, comme Artélia, à s’en préoccuper au cœur de leurs métiers. Mais nous sommes quelque unes à promouvoir et à accompagner sur le sujet".