“Un bel équilibre entre expertises scientifique et démarche humaniste”

 

Associer la connaissance terrain d’une organisation non gouvernementale à l’expertise scientifique d’une école d’ingénieurs. C’est l’ADN de l’Alliance INSA-Handicap international, première incarnation du programme éponyme de la Fondation INSA. Au coeur de cette Alliance, une Chaire d’enseignement et de recherche, « Innovation for Humanity ». Son inauguration aura lieu le 28 janvier 2021 en présence d’Eiffage, première entreprise mécène à rejoindre l’Alliance. Humanitaires, chercheurs et étudiants ont pour missions de faire émerger des réponses techniques aux problématiques très concrètes rencontrées sur le terrain. Pierre Gallien, directeur Innovation, Impact & Information, Handicap International, Christophe Garcia et Jérôme Chevalier, enseignants-chercheurs adjoints à la direction de la recherche à l’INSA Lyon, sont les trois porteurs de la chaire de recherche. Ils reviennent sur les enjeux de cette collaboration.

Le partenariat noué entre l’INSA et Handicap International est inédit dans le paysage de l’enseignement supérieur français. Comment est née l’idée d’une telle collaboration ?

Pierre Gallien : Depuis quelques années, l’INSA Lyon et Handicap International, deux institutions lyonnaises, échangent régulièrement, autour notamment de la question de la prise en charge du handicap dans l’enseignement supérieur. La démarche prospective entamée par l’école d’ingénieurs en 2018 a permis de renforcer nos liens : nous nous sommes très vite rendus compte que nous partagions une même vision humaniste du monde et que nous abordions nos sujets respectifs à travers ce prisme. Un premier partenariat a été signé en juin 2019 et cette chaire s’inscrit dans cette continuité. Handicap International a trouvé au sein de l’INSA un bel équilibre entre expertises scientifique et technologique et questionnement humaniste des enjeux de notre société.

Christophe Garcia : Au-delà des expertises scientifiques que nous pouvons offrir à Handicap International, il y a pour nous le désir de participer à des activités qui ont une forte dimension sociétale.

Jérôme Chevalier : On le voit au quotidien, nos étudiants sont plus que jamais en demande de sens. Ils nous obligent, et c’est salvateur, à prendre en considération les enjeux humanitaires, les questions éthiques et environnementales. Le monde évolue, il doit en aller de même de nos formations et de notre recherche. Bien-sûr, nous continuons de développer des outils et des programmes qui peuvent s’appliquer à l’industrie. Mais l’humanitaire doit également profiter de nos recherches. Ce partenariat avec Handicap International prend donc tout son sens.

La chaire de recherche, « Innovation for Humanity », inaugurée le 28 janvier 2021, permet de structurer la collaboration entre l’INSA et Handicap International. Quelles sont les problématiques scientifiques qui vont occuper les équipes INSA au cours des prochains mois ?

Pierre Gallien : Les activités de Handicap International couvrent de nombreuses thématiques : réadaptation fonctionnelle, éducation inclusive, déminage de zones de guerre, etc. Pour chacune d’entre elles, nous sommes confrontés à des problèmes de fond, qu’il nous faut résoudre. Pour l’heure, nous avons identifié trois enjeux, dans le cadre de cette chaire de recherche.

Le premier concerne la réadaptation fonctionnelle. À l’heure actuelle, des personnes à travers le monde ont besoin d’une prothèse ou d’une orthèse, mais n’y ont pas accès. Il y a plusieurs raisons à cela : un problème de coût du matériel, un manque de ressources humaines expertes et une difficulté à se rendre dans les centres de santé. Le développement des technologies numériques et additives (impression 3D) permet de repenser la façon dont la prothèse arrive jusqu’au patient.

Le deuxième enjeu est lié à notre activité de déminage. Ces opérations sont très coûteuses, dangereuses et longues. Or, notre objectif est de rendre des terres saines le plus rapidement possible aux populations. Les drones permettent déjà de cartographier les zones concernées. L’objectif désormais est d’y ajouter des capteurs et d’analyser les données récoltées grâce à des techniques d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique.

Enfin, le troisième enjeu s’intéresse à l’analyse et à la visualisation de données. On l’a vu avec la pandémie actuelle, les modèles classiques épidémiologiques comportent des limites pour prévoir la propagation d’une maladie, par exemple. Le recours à l’analyse et à la visualisation de données pourrait nous aider, entre autres, à comprendre les mouvements de foule qui peuvent intervenir lors de catastrophes.

Ces sujets sont à la croisée de plusieurs disciplines scientifiques. Comment constituez-vous les équipes qui vont plancher sur ces problématiques ?

Christophe Garcia : Notre recherche est structurée autour de cinq grands enjeux sociétaux (Énergie pour un développement durable ; environnement : milieux naturels, industriels et urbains ; information et société numérique ; santé globale et bioingéniérie ; transport : structures, infrastructures et mobilités). Ces enjeux couvrent les thématiques proposées par Handicap International. Grâce à un travail de cartographie des expertises que nous avons réalisé au cours des derniers mois, nous pouvons identifier les équipes les plus pertinentes sur chaque sujet et les solliciter pour qu’elles mènent, ensemble, les travaux.

Jérôme Chevalier : Travailler sur des problématiques sociétales, comme sur des problématiques industrielles, ouvre des champs de recherche passionnants et de haut niveau scientifique. Notre rôle est donc de traduire la feuille de route transmise par Handicap International en projets de recherche sur lesquels les équipes des laboratoires de l’INSA vont être pertinentes. Une fois ces expertises identifiées, à nous de décliner les besoins en sujets, qui prendront différentes formes, que ce soit des projets de fin d'études pour nos élèves ingénieurs ou des thèses de doctorat. 

Pourquoi ces deux formats vous paraissent être les plus appropriés pour cette collaboration ?

Jérôme Chevalier : Il nous paraît important, voire essentiel, d’associer les étudiants à cette démarche. Ces derniers ont de très belles idées qui méritent d’être développées. Lorsqu’un étudiant dispose de plusieurs mois pour plancher sur un sujet, que ce soit dans le cadre d’un PFE (projet de fin d'études) ou d’un stage, il peut s’emparer du sujet, le défricher, étudier sa faisabilité et tester l’adéquation de la problématique soulevée avec les compétences d’un laboratoire. Cette première brique est essentielle, elle nous permet de préparer le terrain pour une éventuelle thèse qui, quant à elle, se consacrera à un sujet scientifique approfondi dont l’intérêt applicatif pour Handicap International aura été prouvé.

Pierre Gallien : L’ambition est de proposer 5 ou 6 PFE par an et une thèse par an. La première pourrait être initiée dès 2021 et sera dédiée à la problématique de la réadaptation fonctionnelle (quelle forme et quels matériaux pour les prothèses).

Christophe Garcia : D’autres formats viendront compléter cette offre, car on voit bien que les étudiantes et étudiants nourrissent un fort intérêt pour le sujet. Des conférences de sensibilisation aux enjeux de l’humanitaire seront ainsi proposées au cours des prochains mois.

Cette chaire de recherche s’inscrit sur un temps long (quatre ans). En quoi cette dimension est-elle importante ?

Pierre Gallien : Il nous paraissait intéressant et indispensable de nous projeter sur une relation inscrite dans la durée. Nous aurions pu choisir de “saupoudrer” les thématiques, en faisant appel à différentes équipes en fonction de nos besoins immédiats. Ici, au contraire, nous travaillons à une acculturation mutuelle, qui prendra tout son sens sur le long terme.

Christophe Garcia : En effet, ce temps long est indispensable pour permettre aux équipes de se projeter et de s’acculturer aux problématiques de l’ONG. La possibilité qui nous est offerte de nous rencontrer, régulièrement, permet de faire germer des idées et de construire des relations solides et fructueuses.

La chaire constitue une brique de l’Alliance INSA - Handicap international. Ce programme de mécénat technologique à impact social est porté par la Fondation INSA. Tout l’enjeu est donc désormais de mobiliser des mécènes ?

Jérôme Chevalier : En effet. Nous souhaitons solliciter des soutiens pour financer les travaux menés dans le cadre de la chaire. Eiffage est la première entreprise à avoir rejoint le cercle des mécènes. Nous sommes convaincus que d’autres acteurs privés auront aussi la volonté de penser leur développement industriel avec une certaine responsabilité sociétale.